Dans des affaires mettant en cause des organisations politiques, le parquet soumis à l’exécutif devrait systématiquement se dessaisir au profit des juges du siège, fonctionnnellement et statutairement indépendants.
Telle est l’analyse de Paul Cassia, Professeur des Universités en droit (Université Paris I – Panthéon Sorbonne) dans un article de blog « Perquisitions France Insoumise: la faute du parquet » publié ce jour ici.
Manifestement le Professur Cassia n’a pas de sympathie particulière pour la FI, encore moins pour J-L Mélenchon… Mais il connaît le droit, est attaché aux libertés publiques fondamentales et à ce titre mesure l’enjeu et la gravité de ce qui se joue dans notre pays actuellement du point de vue démocratique.
Extraits…
« Les perquisitions judiciaires visant la France insoumise ont été réalisées dans le cadre d’une enquête préliminaire diligentée par le parquet de Paris. Certes, les perquisitions semblent avoir (pour certaines au moins) été autorisées par une ordonnance d’un JLD prise en application de l’article 76 du Code de procédure pénale, ce qui permet de se passer de l’assentiment de la personne chez qui la perquisition a lieu à la fois pour entrer dans le local et pour y saisir des pièces à conviction. Mais ce filet est d’une faible résistance pour la protection des libertés individuelles puisque ce juge indépendant statue in abstracto, sans débat contradictoire (impossible pour préserver l’effet de surprise inhérent à une perquisition), au vu du seul dossier que lui présente le parquet : c’est une garantie de papier, insuffisamment effective.
Les perquisitions du 16 octobre illustrent une fois de plus que la France est certes un Etat de droit, à l’instar de la plupart des Etats d’ailleurs, mais d’une piètre qualité, ou du moins dont la qualité ne fait que se dégrader depuis 1986…
Les conséquences concrètes des perquisitions du mardi 16 octobre sont d’une gravité démocratique inouïe, monstrueuse : depuis cette date et pour une durée indéterminée, des documents – clés USB, fichiers informatiques, carnets… – retraçant la vie d’un parti politique d’opposition, contenant des pans entiers de la vie privée de ses dirigeants, sont entre les mains du ministère de la Justice et du ministère de l’Intérieur ! Les agents publics qui les détiennent peuvent les exploiter à leur guise ! Ils peuvent les copier, et c’est sans doute déjà fait pour tout ou partie d’entre eux ! Leurs propriétaires n’ont pas de moyens légaux de récupérer les originaux des supports papiers ou informatiques tant que l’affaire n’aura pas été classée sans suite par le parquet ou tant qu’une information judiciaire n’aura pas été ouverte (v. l’article 41-4 du Code de procédure pénale) ! L’exécutif est en capacité de se faire communiquer le contenu ou le résultat de l’exploitation de tous ces supports informatiques ou papier !…
En tout état de cause, même si un juge d’instruction avait été saisi, les officiers de police judiciaire, fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, sont en mesure de communiquer à leur ministre toute information à leur disposition résultant de l’analyse de biens saisis au cours d’une perquisition – c’est pourquoi il est indispensable de rattacher la police judiciaire à un service public de la justice indépendant, et non plus au ministère de l’Intérieur.
Aucun démocrate, aucun républicain, ne peut accepter un tel risque, une telle potentialité de privatisation de la justice pénale. La violence politique qu’elle porte, à supposer même qu’elle ne soit que théorique, est indigne du pays de Montesquieu et de l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
L’article 4 de la Constitution dispose que les partis politiques – tous les partis politiques – « exercent leur activité librement ». L’accaparement de données confidentielles à l’un quelconque de ces partis par des magistrats et des officiers de police judiciaire soumis à l’autorité de l’exécutif constitue un insupportable manquement à cette liberté constitutionnelle.
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